Béatification de Jean-Paul II : retour sur un pontificat en trompe-l’œil
On associe souvent le pontificat de Jean-Paul II à un renouveau de l’Eglise catholique, qui aurait retrouvé son dynamisme et sa capacité de séduction, notamment auprès des jeunes. A la réflexion, il semble au contraire que les « années Jean-Paul II » soient celles du déclin d’une Eglise qui s’est raidie sur l’accessoire, faute d’avoir pu sauver l’essentiel.
En effet, il est évident que l’Eglise catholique, à force de concessions à l’œcuménisme (dont le symbole reste la rencontre d’Assise en 1982), a renoncé à proposer un schéma global d’explication du monde – ce qui constitue pourtant la caractéristique première de toute religion. En s’abandonnant à l’idéologie dominante, humanitariste, droit-de-l’hommiste et ultra-compassionnelle, l’Eglise a perdu la force et la singularité de son message. Le contraste est éclatant avec une religion dynamique comme l’islam, qui n’a renoncé ni à rendre compte du monde dans sa globalité, ni à l’organiser socialement et politiquement.
Le pontificat de Jean-Paul II est aussi celui du mysticisme prééminent. Le soutien apporté à la mouvance du « Renouveau charismatique » apparaît comme une tentative désespérée de revitaliser la foi catholique, en la séparant de l’ordre de la réflexion pour la placer sous l’égide de la seule émotion. Ainsi, la foi devient une expérience purement émotionnelle, sans dimension intellectuelle – avec tous les risques de dérives que cela comporte.
Après avoir autant cédé en profondeur, l’Eglise devait donner l’illusion de tenir bon en surface. C’est la raison pour laquelle Jean-Paul II – avec sincérité et courage, bien entendu – a constamment assumé une ligne de fermeté sur les sujets « sociétaux » : dénonciation de l’homosexualité comme étant contraire à la loi naturelle, culture du silence vis-à-vis de la pédophilie des prêtres, combat contre la contraception en dépit du phénomène du SIDA etc. Grâce à ce positionnement inflexible sur des thématiques finalement secondaires, l’Eglise a pu mettre en scène à bon compte sa capacité à porter des messages forts, comme au temps où son influence sociale était prépondérante. Notons que cette rigidité n’ignorait pas le « deux poids deux mesures » : ainsi, le divorce a toujours paru bénéficier d’une certaine indulgence – il faut dire que les divorcés constituent une cible de choix pour une Eglise qui fait de plus en plus dans le compassionnel…
En définitive, la béatification de Jean-Paul II permet de solder les comptes d’un pontificat en trompe-l’œil : malgré d’indéniables succès dans l’ordre politique ou médiatique, le pape polonais a été incapable d’enrayer la perte d’influence de l’Eglise catholique dans la société contemporaine. L’essor des « communautés nouvelles », loin d’être une preuve de renouveau, est un signe de déclin : quel retour en arrière, lorsqu’une religion multiséculaire se met à ressembler à une secte !
Pour autant, ces évolutions ne sont pas irréversibles, et le pontificat de Benoît XVI à commencé à marquer d’heureuses inflexions. Grâce à ce pape grand théologien, rétif à la dictature du tout-émotionnel et du tout-compassionnel, l’exigence intellectuelle a retrouvé toute sa place dans l’Eglise. Parallèlement, un discours de vérité a été tenu sur la question de la pédophilie, en évitant le double écueil de la repentance ostentatoire et du silence complaisant. On peut voir là, avec optimisme, les prémices d’un véritable renouveau catholique – et non charismatique (n’oublions pas, au passage, qu’il est dans la nature du charisme de se « routiniser », comme le dit Max Weber). Ainsi l’Eglise retrouvera sa pleine majesté, et elle cessera d’être une simple structure de soutien psychologique pour « accidentés de la vie », aussi respectables soient-ils. C’est la mission et la grandeur de l’Eglise d’accueillir les plus faibles, mais elle ne doit pas s’adresser qu’à eux.